Régine, elle n'était pas pétrifiée
Elle revient. Par surprise. Par TikTok. Par nostalgie aussi.
Depuis le succès de Bref 2, une chanson tourne en boucle sur les réseaux. "Je survivrai", adaptation française du I Will Survive de Gloria Gaynor. Un titre de 1979, interprété par une voix grave, un peu cassée, un peu drôle, un peu tragique. La voix de Régine.
Le morceau est devenu un tube pour la seconde fois de sa vie grâce à un épisode de la série culte de Kyan Khojandi. Il accompagne une scène déchirante. Celle d’un homme resté assis trop longtemps dans sa vie. Une réplique est devenue virale : "Il avait besoin de s’asseoir trente secondes, il s’est assis vingt ans." Et soudain, tout le monde redécouvre Régine.
Une enfance d’exil, un destin d’instinct
Régina Zylberberg naît en 1929 à Etterbeek, en Belgique, dans une famille juive ashkénaze de Pologne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fuit les persécutions et s’exile en France, à Paris. Les lois anti-juives la poursuivent, Régine quitte précipitamment la capitale. Elle est cachée sous une fausse identité dans un couvent à Aix-en-Provence, puis à Lyon chez la famille Heymann. Elle y rencontre son premier amour, Claude, un adolescent qui sera arrêté, déporté puis assassiné. Ce drame la marquera à vie.
Après la guerre, elle revient à Paris. Dès les années 1950, elle fréquente la vie nocturne à Juan-les-Pins et à Paris. Tour à tour, elle est barmaid, DJ ou dame-pipi au Whisky à Gogo. Elle comprend vite ce que danser veut dire. Elle comprend surtout comment faire danser les autres.
“Chez Régine”, l’invention d’un monde
Encouragée par Serge Gainsbourg, elle ouvre en 1956 son propre club, rue du Four, à Saint-Germain-des-Prés. “Chez Régine”. Le nom sonne comme un mot de passe. Aujourd’hui, il ferait penser à un bon bistrot parisien. Elle enlève le juke-box. Elle impose deux platines et filtre les clients. Elle invente la nuit sélective, le club privé, la carte de membre, aujourd’hui répandue. Elle est partout. Dans la cabine. Au bar. Aux platines. Elle veille.
À partir des années 1960, Régine bâtit un véritable empire nocturne. En 1961, elle ouvre le New Jimmy’s à Montparnasse, puis exporte son concept dans le monde entier : New York, Miami, Rio, Monte-Carlo, Le Caire, Saint-Tropez... Régine gagne son surnom de "Reine de la nuit" – sans jamais boire ni fumer.
Plutôt Patchouli et Chinchilla
Dans les années 70-80, Régine n’a plus besoin de nom de famille. Elle est devenue à elle seule une institution. Elle crée des parfums, des lignes de vêtements, des croisières, des restaurants (dont Ledoyen à Paris et Le Rage à New York). Elle a jusqu’à 20 000 membres VIP dans le monde. Les puissants viennent chez elle. Les stars, aussi. Tout ce que la jet-set compte de noms connus ou oubliés passe par ses clubs. C’est la France des années fric, champagne, drague et dorures. Dans les années 1990, elle dirige l'hôtel Cheval-Blanc à Nîmes, lieu chic et festif où elle attire la crème du Tout-Paris. Mais l'aventure s'achève en fiasco financier en 1994.
La chanteuse, femme de scène
Parallèlement, Régine chante. Une voix inimitable. Grave, chaude et râpeuse. Comme celle d’une tante qu’on admire secrètement pour ses gros mots et ses Marlboro. Elle travaille avec Gainsbourg, Aznavour, Barbara. Elle chante Les P’tits Papiers, La Grande Zoa, et ce fameux Je survivrai. Elle passe à l’Olympia et au Carnegie Hall. Elle a du coffre, de l’humour et un sens très personnel de l’émotion.
Elle joue aussi dans des films, à la télévision. En 2005, elle participe à La Ferme Célébrités, pas par goût du kitsch, mais pour faire rire son fils malade. Il mourra l’année suivante. Elle ne s’en remettra jamais.
Les amours, les emmerdes
Tout empire a ses failles. En 1992, elle tente de racheter Le Palace, ancienne cathédrale des nuits parisiennes. Mauvais timing. La crise immobilière, les magouilles et la fin d’une époque ont raison de ses entreprises. En 2004, elle revend tout. Elle garde seulement la marque “Régine”.
Mais elle ne s’arrête jamais. De l’actrice, elle passe à l’auteure. Elle écrit trois autobiographies, pleines de gouaille et de vérités crues (Appelez-moi par mon prénom, Mes p’tits papiers, Moi, mes histoires). Elle raconte ses amours, ses sept avortements, ses déceptions. Elle vend ses objets aux enchères pour soutenir ses causes. Elle fonde SOS Drogue International, soutient les sans-abri, finance des soins. Elle danse toujours.
Côté cœur, Régine se marie deux fois : avec Paul Rotcage, père de son fils Lionel, puis avec Roger Choukroun. Françoise Sagan était son témoin. Elle aura de nombreux amants célèbres, de John Wayne à Claude François, en passant par Steve McQueen, Porfirio Rubirosa (diplomate et playboy dominicain), et même Björn Borg. Elle réside longtemps rue Chambiges, dans le 8e arrondissement, haut lieu de ses réceptions mondaines.
Une dernière danse
En 2022, elle s’éteint à 92 ans. Sans tapage. Ses obsèques au Père-Lachaise réunissent des personnalités comme Jane Birkin, Carla Bruni ou Marc Lavoine. Ses cendres sont dispersées dans la Seine.
Très bel article !