Le jean selvedge japonais est devenu une référence mondiale en matière de qualité, de durabilité et d’artisanat textile. Longtemps considéré comme un vêtement populaire aux États-Unis, le jean a connu une véritable renaissance au Japon, notamment dans la région de Kojima, Okayama, où des artisans ont su préserver et améliorer les techniques de fabrication traditionnelles. Mais pourquoi le denim japonais est-il si prisé par les amateurs de mode et les connaisseurs de textile ? Comment cette industrie s’est-elle développée au fil des décennies et quels en sont les secrets ?
American way of life
L’histoire du denim au Japon commence après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les soldats américains stationnés dans l’archipel laissent derrière eux des jeans Levi’s, Wrangler et Lee. Rapidement, la jeunesse japonaise adopte ce symbole de rébellion et de liberté.
Dans les années 1960, plusieurs manufactures textiles de Kojima, dans la préfecture d’Okayama, commencent à produire leurs propres modèles. Avant cela, cette région était spécialisée dans la fabrication d’uniformes scolaires et de vêtements de travail. La transition vers le denim se fait naturellement, grâce à la présence d’ouvriers qualifiés et d’ateliers de tissage.
La marque Big John, fondée en 1940, est pionnière dans la fabrication des premiers jeans "made in Japan". Initialement conçus avec du denim importé des États-Unis, ces jeans évoluent en 1972 avec l’utilisation de toiles japonaises, tissées localement par la société Kurabo. C’est un moment clé dans l’histoire du denim japonais, qui marque l’entrée du pays dans la production de jeans haut de gamme.
Le Selvedge, à l’ancienne
Le terme selvedge vient de l’anglais "self-edge", signifiant lisière autocontrôlée. Contrairement au denim classique, produit sur de larges machines industrielles, le denim selvedge est fabriqué sur des métiers à tisser à navette, qui créent une lisière propre et résistante, empêchant le tissu de s’effilocher.
Dans les années 1980, alors que les États-Unis modernisent leurs usines pour accroître la productivité, certains artisans japonais décident de restaurer d’anciens métiers à tisser Draper et Toyoda (ancêtre de Toyota). Ces machines, bien que lentes et complexes à entretenir, permettent de produire un tissu plus dense, plus robuste et plus texturé.
Le résultat ? Un jean plus résistant, qui vieillit avec le temps, développant une patine et un délavage naturel impossible à obtenir avec des jeans produits en masse.
Indigo millénaire
Le denim japonais doit également sa réputation à sa méthode de teinture, issue de la tradition textile du pays. L’indigo naturel, utilisé depuis l’époque Edo (1603-1868) pour la confection de kimonos et de vêtements de samouraïs, est aujourd’hui encore utilisé dans la fabrication de nombreux jeans japonais.
La technique du "rope dyeing", considérée comme la meilleure méthode de teinture pour le denim, consiste à plonger les fils de coton dans des bains successifs d’indigo, en alternant avec des phases d’oxydation à l’air libre. Plus le processus est répété, plus la couleur est profonde et intense. La méthode est appréciée pour plusieurs raisons. Premièrement, l’indigo ne pénètre pas complètement le cœur des fibres, ce qui permet au jean de s’éclaircir avec le temps de manière homogène. Ensuite, chaque teinte est unique. Certains artisans ajoutent des pigments au soufre ou des mélanges d’indigo, comme le Greencast, qui donne des reflets bleu-vert uniques.
(Dé)finitions
Les artisans japonais expérimentent différentes structures de tissage pour donner à chaque jean une texture et une patine différentes.
Le Right Hand Twill est un tissage classique incliné vers la droite. Le Left Hand Twill est un tissage inversé, donnant un toucher plus doux. Le Broken Twill est un mélange des deux, qui limite les déformations du tissu.
Les jeans japonais se démarquent également par leurs finitions exceptionnelles, souvent réalisées avec des machines anciennes comme les Union Special. Les rivets en cuivre, renforcent les zones de tension. Les coutures en point de chaînette, garantissent une meilleure résistance. Et les étiquettes en cuir naturel, vieillissent divinement avec le temps.
Produit de luxe
Avec un marché en pleine expansion, le denim japonais est désormais synonyme de luxe et d’exclusivité. Plusieurs marques se sont imposées comme des références mondiales : Big John, pionnier du denim japonais. Momotaro, célèbre pour son symbole de pêche, inspiré d’un conte japonais. Evisu, première marque à avoir exporté des jeans japonais à l’international. Warehouse & Co., spécialiste du jean vintage inspiré des jeans américains des années 30 à 50.
Preuve de cet attrait, LVMH, via son fonds L Catterton, a récemment investi dans la marque Kapital. Certains jeans peuvent atteindre 1 200 euros, notamment ceux fabriqués à la main sur métiers à tisser en bois, adaptés des techniques de tissage des kimonos.