Le Old Cuban, le cocktail qui nous fait rêver d’un vieux Cuba
Si j’ai du champagne, c’est toujours pour célébrer. Et la vie, même lorsqu’elle fait mal, doit vous donner des raisons d’en ouvrir une bouteille. - Hemingway
Dès la première gorgée, on sent la chaleur épaisse et moite de la Havane. D’une main paresseuse, on aimerait trouver son cigare fumant dans un gigantesque cendrier floqué Bacardi. On rouvre les yeux, nous sommes à Paris, dans l’un des meilleurs bars de la capitale. Qu’est-ce que le Old Cuban, ce cocktail à la fois viril et sophistiqué qui mêle rhum et champagne ?
Le Old Cuban est né d’une idée simple mais puissante : faire dialoguer la rigueur effervescente du champagne français avec la chaleur sensuelle du rhum cubain. Derrière ce cocktail devenu culte, se cache une double histoire : celle, ancienne et inattendue, des liens entre Cuba et le champagne… et celle, plus contemporaine, de sa créatrice : Audrey Saunders.
Le Old Cuban, ou le Mojito devenu chic
Audrey Saunders, bartender de génie et pionnière de la mixologie moderne imagine à New York une version plus courte, plus sèche, plus élégante du Mojito. Elle le baptise Old Cuban, en clin d’œil au rhum vieilli qu’elle utilise, et à l’histoire luxurieuse de Cuba et de ses exils dorés. Hasta la vista l’eau gazeuse : elle la remplace par du champagne brut. Adios le rhum blanc : elle opte pour un rhum vieilli, plus complexe. Et elle ajoute des bitters Angostura, pour un équilibre parfait.
Dès sa parution, le Old Cuban devient un nouveau standard. Il apparaît sur les cartes des bars d’hôtel et des rooftops branchés. En Allemagne, il devient l’un des cocktails les plus commandés. Et pour cause : il est à la fois rafraîchissant, sophistiqué et hautement buvable.
Si le cocktail a été créé en 2001, on aime à s’imaginer une légende plus pittoresque. Une recette héritée de longs après-midis d’ivresse sous les palmiers. Laissons-nous prendre par l’imaginaire puisqu’il n’est pas si éloigné de la vérité.
Aux origines de Cuba étaient le mojito…et le champage
Le mojito puiserait ses origines au XVIᵉ siècle, lorsque le corsaire Francis Drake, entre deux pillages de La Havane, buvait un mélange de menthe pilée et de tafia (sorte de rhum grossier).
Ce breuvage rudimentaire a évolué au XXᵉ siècle avec l’ajout de rhum et de citron vert, inspiré du « mojo », un assaisonnement à base de citron. Devenu emblème de la culture cubaine dès les années 1920, le mojito est aujourd’hui considéré comme le cocktail national de Cuba.
Le champagne, lui, apparait à Cuba au XIXe siècle lorsqu’elle est encore une colonie espagnole. Cuba voit sa bourgeoisie planter les jalons d’une culture mondialisée. À La Havane, les riches planteurs, souvent éduqués en Europe, font venir du champagne dans leurs palacios : Moët, Veuve Clicquot, Pommery. Ces caisses de bois estampillées traversent l’Atlantique pour orner les salons créoles.
La bulle française devient un marqueur social, un luxe importé au cœur des tropiques, servi entre deux danses de salon ou en accompagnement d’un cigare.
Des années 1930 à 1959, La Havane vit son âge d’or hédoniste. Sinatra, Ava Gardner, des mafieux new-yorkais et des touristes fortunés se croisent au Tropicana, au Hotel Nacional ou au Casino de Capri. On y boit du champagne comme à Paris, mais sous les palmiers. Le brut accompagne langoustes, rumbas… et confidences interlopes. Ernest Hemingway, installé dans sa villa Finca Vigía, avait pour habitude de recevoir à flots de rhums et de cocktails. Mais les archives rapportent qu’il gardait toujours quelques bouteilles de champagne au frais. Selon ses proches, il appréciait l’association champagne-cigare qu’il renvoyait à la mélancolie d’un luxe perdu. “If I have champagne, it is always in celebration. And life, even when it hurts, should give you reasons to open a bottle.” (“Si j’ai du champagne, c’est toujours pour célébrer. Et la vie, même lorsqu’elle fait mal, doit vous donner des raisons d’en ouvrir une bouteille.”)
Après la révolution castriste de 1959, le luxe occidental devient tabou. Mais le champagne continue de circuler, de manière feutrée, dans les ambassades, les réceptions diplomatiques, les dîners rares. Des maisons comme Bollinger ou Laurent-Perrier continuent d’alimenter ces circuits discrets. Le champagne devient alors un symbole résistant, presque clandestin.
Depuis les années 2010, avec le retour d’une gastronomie cubaine créative, les bulles reviennent. Dans les paladares (restaurants privés), certains sommeliers recommandent des accords précis entre champagne et cigares. Un brut minéral avec un H. Upmann léger ; un rosé avec un Montecristo No. 2 ; un millésimé complexe pour accompagner un Cohiba Maduro.
La recette originale
· 6 feuilles de menthe
· 2,25 cl de jus de citron vert frais
· 3 cl de sirop de sucre
· 4,5 cl de rhum vieilli
· 6 cl de champagne brut
· Quelques gouttes d’Angostura bitters
Et à Paris, où retrouvons-nous luxe devenu intime, sensoriel, loin du bling, mais chargé d’histoire ? Je recommande vivement de commander un Old Cuban à l’Experimental Cocktail Club rue Saint-Sauveur, dans le deuxième arrondissement. En plus d’avoir la certitude de goûter un cocktail parfaitement réussi et plein d’émotion, vous découvrirez une adresse formidable.
📍 Experimental Cocktail Club, 37 rue Saint-Sauveur, 75002.